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  • Le covid-19 ou le choc de dépolitisation...

    Nous reproduisons ci-dessous l'analyse, donnée par Jérôme Saint-Marie au Figaro Vox, des événements politiques et sociaux de l'année écoulée à la lumière de l'élection présidentielle qui vient.

    Spécialiste de l'opinion publique, fondateur de la société d'études et de conseil Polling Vox, Jérôme Sainte-Marie enseigne à l'université Paris-Dauphine et est l'auteur de Bloc contre bloc - La dynamique du Macronisme (Cerf, 2019) et de Bloc populaire - Une subversion électorale inachevée (Cerf, 2021).

     

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    Jérôme Sainte-Marie : «Le Covid-19 aura produit un choc de dépolitisation»

    LE FIGARO. - Pré-campagne présidentielle, instauration du passe sanitaire, reprise de l'épidémie avec le variant Omicron… L'année qui s'écoule a été dense. Selon vous, quel événement a le plus bouleversé la France en 2021 ? En quoi ?

    Jérôme SAINTE-MARIE. - À l'évidence, la crise sanitaire a marqué 2021, mais dans la continuation de l'année précédente et de manière finalement banalisée. S'il s'agit de citer un événement emblématique de ce qu'est la France aujourd'hui et qui aura eu un impact significatif sur notre humeur collective, je retiendrais plutôt la crise dite des sous-marins australiens, c’est-à-dire la rupture d'une promesse d'achat présentée comme le contrat du siècle. Il me semble que cette annonce le 15 septembre dernier a cristallisé les doutes, pour ne pas dire l'angoisse existentielle, ressentie par nombre de nos compatriotes. Cet échec n'est bien sûr pas seulement commercial, il illustre un affaiblissement de la position du pays sur la scène mondiale et fait écho au processus de désindustrialisation dénoncé par toute la classe politique ou presque. Derrière la perte financière immédiate pour Naval Group se profile une forme de déclassement du pays, sentiment bien réel, qu'il soit justifié ou non, et lourd de conséquences électorales. Cet événement survenu en 2021 n'est pas en soi un tournant par son intensité, mais par la résonance qu'il trouve dans d'autres revers de l'industrie de pointe française, on songe ici l'affaire Alstom, il me paraît effectivement de nature à impressionner durablement l'opinion publique.

    La mise en place du passe sanitaire a vu naître un mouvement anti-passe, mélange hétérogène de protestataires du type «gilets jaunes» et membres de classes moyennes. Ce fait illustre-t-il l'archipélisation de notre société comme l'a théorisé Jérôme Fourquet ? Comment analysez-vous ce phénomène ?

    Comme vous le notez, il existe une différence profonde entre le phénomène des «gilets jaunes» d'une part et les mobilisations anti-passe d'autre part, même si dans les deux cas les observateurs ont pu être surpris par leur intensité. Il y a trois ans, les rassemblements et les occupations de ronds-points étaient très marqués dans leur sociologie, avec une évidente sur-représentation des travailleurs modestes du privé, salariés ou indépendants. À l'été 2021, les manifestations étaient beaucoup plus interclassistes, ce qui est d'ailleurs très logique puisque celles-ci ne se fondaient pas sur un enjeu de pouvoir d'achat mais sur une cause presque immatérielle. Je ne vois pas très bien cependant comment cela pourrait correspondre à une hypothétique «archipélisation» : il y a toujours eu des mobilisations portant sur des enjeux diversifiés, et au mi-temps des années 1980, par exemple, on pouvait assister à quelques semaines de distance à des manifestations portant sur la querelle scolaire comme à des mouvements d'opposition à la restructuration de la sidérurgie. La France est un pays où l'on manifeste énormément et à tous propos, ce n'est pas nouveau. La polarisation sociale constitue une réalité sur laquelle chacun s'accorde, me semble-t-il, sans que cela n'empêche que l'on puisse se rassembler sur des thèmes transversaux, comme celui des libertés individuelles.

    Peut-il être de grande portée lors de la présidentielle ? Dans quelle mesure ?

    Derrière le rideau des manifestations et des polémiques sur le passe sanitaire, ces dernières très présentes dans les médias comme sur les réseaux sociaux, le fait politique majeur porté par la crise sanitaire me paraît être la dévitalisation du débat public. Après l'intense actualité sociale des deux premières années du quinquennat, les Français sont placés dans une situation artificielle d'atomisation, chacun étant renvoyé à sa santé et à celle de ses proches, à son corps et, si l'on peut dire, à sa peau.

    L'abstention massive lors des scrutins intermédiaires doit beaucoup à ce climat aberrant. La place prise par les échanges sur la qualité des vaccins, l'évolution des courbes de contamination, la pertinence de telle ou telle mesure de santé publique, avec un degré de précision qu'illustre la dernière intervention télévisée du Premier ministre, est bien sûre légitime, mais elle induit une distraction de l'opinion par rapport aux grands enjeux d'avenir du pays. Il reste peu de temps avant le grand rendez-vous démocratique des Français, en avril prochain, pour restaurer la hiérarchie des débats. Le Covid-19 aura produit un choc de dépolitisation.

    Ces manifestations, peu soutenues par la majorité de la population, ont-elles renforcé Emmanuel Macron ?

    Sur le strict plan de l'opinion publique et de sa mesure, la pandémie a abouti en quelques mois à un net redressement de la cote de popularité de l'exécutif. Nous étions il y a deux ans en pleine confrontation entre partisans et adversaires de la réforme des retraites menée par le gouvernement d'Édouard Philippe. Depuis, le niveau du soutien au président de la République a augmenté d'une dizaine de points. Emmanuel Macron n'est pas populaire au sens qu'une majorité de Français en aurait une bonne opinion dans l'exercice de ses fonctions, mais il l'est bien davantage que ne le furent ses deux prédécesseurs, François Hollande et auparavant Nicolas Sarkozy, à ce stade de leur mandat. Le chef de l'État a su apparaître auprès de nombreux Français comme le garant du versement des salaires et des pensions, se prévalant à tort ou à raison d'avoir sur drainer vers la France une part du plan de relance européen. Candidat de la réforme en 2017, il sera devenu le président des garanties. Quand bien même s'agirait-il d'une illusion, cela demeure un bel atout électoral.

    Sur le plan politique, la percée d'Éric Zemmour dans les sondages a rebattu les cartes : le duel annoncé entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen est désormais incertain…

    Le phénomène Zemmour à la fin de l'été s'apparente à une déflagration d'opinion. Pour trouver un équivalent, il faut curieusement évoquer la vive ascension de Jean-Luc Mélenchon dans les sondages d'intention de vote à partir de la mi-mars 2017, l'amenant en cinq semaines à près de 20%. On notera aussitôt la particularité de la percée d'Éric Zemmour, intervenue à un moment où les opinions demeurent très volatiles et où le citoyen n'est pas encore vraiment dans la position de l'électeur. On a d'ailleurs constaté depuis un tassement des intentions de vote. D'une part Marine Le Pen a su stabiliser son socle électoral, à la tonalité populaire marquée, d'autre part la droite classique a réussi son processus de désignation du candidat à la présidentielle. La poussée des intentions de vote en faveur de Valérie Pécresse est un autre indicateur de la fluidité des rapports de force virtuels, ceux mesurés par les sondages, tant que l'offre électorale n'est pas stabilisée ni les Français massivement intéressés par le suivi de la campagne, ce qui intervient généralement à deux ou trois mois du scrutin présidentiel. Il demeure que pour l'heure la candidature d'Éric Zemmour rend la situation de Marine Le Pen plus délicate, sans causer le moindre tort à Emmanuel Macron : dans les sondages actuels, celui-ci passe désormais le premier tour en première position et l'emporte au tour décisif, de manière particulièrement confortable lorsqu'il est opposé au polémiste.

    Le bloc élitaire qui s'est formé autour d'Emmanuel Macron en 2017, se divise-t-il désormais entre Macron et Zemmour ?

    Le bloc élitaire n'existe au sens strict qu'autour d'Emmanuel Macron, dans la mesure où il est formé par une idéologie progressiste se défiant du clivage entre la gauche et la droite. Il est porté par un projet libéral et europhile, dans l'acceptation de la mondialisation sous toutes ses formes. Le profil sociologique du vote Macron en 2017 comme des intentions de vote pour 2022 est avant tout marqué par une forte adhésion de la classe managériale et d'une partie des retraités. Ce n'est pas équivalent pour les intentions de vote en faveur d'Éric Zemmour, au profil relativement interclassiste mais orientées à droite. Présenté comme un atout par le candidat, cela peut constituer également à terme une faiblesse, dans le contexte de polarisation que connaît la société française, sauf à considérer que les considérations matérielles ne compteraient pour rien dans le vote. Emmanuel Macron n'a pas ce problème puisqu'il a su maintenir une vraie cohérence entre la sociologie de ses soutiens, l'adéquation de son idéologie à celle-ci, et la composition de ses équipes, où se sont fondues des personnalités issues de la gauche comme de la droite.

    Autre fait d'importance : la gauche semble toujours incapable d'accéder au second tour malgré la multiplication des candidatures à droite. Peut-elle encore espérer rassembler le «bloc populaire» ? Quel regard portez-vous sur une éventuelle candidature de Christiane Taubira ?

    Tant de choses ont été dites à juste titre sur les difficultés de la gauche que je soulignerais plutôt deux réalités plus appréciables pour elle. Tout d'abord le score cumulé des candidats qui s'en réclament s'établit à un niveau proche de celui de 2017, c’est-à-dire un peu plus du quart des électeurs. Songeons que ce n'est pas très éloigné de celui de la droite si l'on ne prend en compte que les candidats qui s'y rattachent explicitement. Pourquoi un tel maintien, pas toujours perçu ? Sans doute parce que la gauche conserve un socle sociologique qui est à la fois une garantie et une limite : celui de la dépense publique, dont les fonctionnaires constituent le noyau dur. Les facteurs culturels comptent, bien entendu, mais cette dimension prosaïque autant qu'essentielle, l'origine des revenus, conservent une importance majeure dans le choix politique. Du coup, la gauche peut toujours affectionner le mot «populaire», elle ne peut prétendre à constituer un bloc populaire, ayant notamment bien du mal à convaincre les travailleurs du privé.

    Mal à l'aise face au mouvement des «gilets jaunes», contradictoire dans sa relation à la mondialisation, la gauche se survit à travers l'exaltation de valeurs et de positions souvent bien éloignées du point d'équilibre de la société française. L'aura qui dans cette mouvance entoure Christiane Taubira illustre bien cette fuite en avant idéologique, modeste compensation à son confinement sociologique.

    Jérôme Saint-Marie, propos recueillis par Ronan Planchon (Figaro Vox, 31 décembre 2021)

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  • Droite et gauche : espèces menacées ?...

    Le nouveau numéro de Front Populaire, la revue de Michel Onfray, est consacré à la droite et à la gauche.

    On trouvera notamment des articles de Marcel Gauchet ("La gauche et la droite, une invention française"), d'Arnaud Imatz ("Droite et gauche, notions fixes ou relatives ? "), de Michel Onfray ("Le wokisme, maladie infantile du communisme"), de Régis de Castelnau ("Le parti socialiste a-t-il jamais été de gauche ?"), d'Olivier Dard ("Droite/gauche : les enseignements des années 30"), d'Alain de Benoist ("La brève aventure du cercle Proudhon"), de Jacques Sapir ("Poutine est-il un homme de droite ou de gauche ? "), de David L’Épée ("Et si on revenait aux origines du socialisme ?") ainsi que des entretiens avec Jérôme Sainte-Marie, Guillaume Bernard et Vincent Coussedière.

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    " La lutte entre la droite et la gauche, qui a structuré notre vie politique pendant près de deux siècles, est-elle totalement révolue ? A l'heure où le président de la République prétend être "en même temps" de droite et de gauche, et où le principal parti d'opposition affiche une stratégie "ni droite ni gauche", tout porte à le croire.

    Pourtant, les tentatives de dépasser le clivage droite-gauche se sont toujours soldées par des échecs dans l'Histoire. Les Français ne sont-ils pas dès lors condamnés à se diviser bientôt à nouveau sur des sujets comme l'économie et l'identité ? Ce nouveau numéro de Front Populaire jette un regard différent sur la campagne de 2022 en montrant la complexité du débat public, irréductible à la seule question de la souveraineté. Parmi les auteurs: Michel Onfray bien sûr, mais aussi Jacques Sapir, Marcel Gauchet, Henri Pena-Ruiz, Alain de Benoist et Georges Kuzmanovic. "

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  • L'enjeu des classes populaires...

    Vous pouvez découvrir un entretien donné par Jérôme Sainte-Marie à Livre Noir dans lequel il livre son analyse de la présidentielle 2022, et notamment du duel Le Pen-Zemmour et du rôle que jouera le bloc populaire dans cette élection...

    Spécialiste de l'opinion publique, fondateur de la société d'études et de conseil Polling Vox, Jérôme Sainte-Marie enseigne à l'université Paris-Dauphine et est l'auteur de Bloc contre bloc - La dynamique du Macronisme (Cerf, 2019) et de Bloc populaire - Une subversion électorale inachevée (Cerf, 2021).

     

                                                

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  • « Aucune élection, fût-elle présidentielle, ne peut créer les conditions de la véritable révolution dont notre peuple a besoin »...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Breizh-Info, dans lequel celui-ci donne son sentiment sur l'actualité récente, et notamment sur l'irruption d'Eric Zemmour dans la campagne présidentielle.

    Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Contre le libéralisme (Rocher, 2019),  La chape de plomb (La Nouvelle Librairie, 2020),  La place de l'homme dans la nature (La Nouvelle Librairie, 2020), La puissance et la foi - Essais de théologie politique (La Nouvelle Librairie, 2021) et L'homme qui n'avait pas de père - Le dossier Jésus (Krisis, 2021).

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    Alain de Benoist : « Aucune élection, fût-elle présidentielle, ne peut créer les conditions de la véritable révolution dont notre peuple a besoin »

    Breizh-info.com : Alain de Benoist, tout d’abord, quel regard portez-vous sur l’ascension médiatico-politique d’Eric Zemmour à quelques mois de l’élection présidentielle ? Cette ascension n’est-elle pas le signe de l’échec définitif du Rassemblement national en politique ?

    Alain de Benoist : Toute campagne présidentielle en France a ses coups de théâtre et ses événements imprévus. Cette année, c’est le phénomène Zemmour. Je le regarde avec curiosité – mais aussi avec détachement, tant je reste convaincu qu’aucune élection, fut-elle présidentielle, ne peut créer les conditions de la véritable révolution dont notre peuple a besoin.

    Eric Zemmour est un ami, dont je connais la vaste culture politico-historique et dont j’admire la posture réfractaire et la pugnacité, ce qui ne m’empêche d’être en désaccord avec lui sur des points nombreux (son jacobinisme, sa critique de l’idée d’Empire, son parti-pris sans nuances pour l’assimilation, son hostilité aux prénoms régionaux, pour ne rien dire de la question des « racines chrétiennes »). Son ascension de « presque candidat » a été remarquable, puisqu’il semble être aujourd’hui en mesure d’empêcher Marine Le Pen d’arriver en tête au premier tour, voire de l’empêcher d’être présente au second. Cela dit, à six mois du scrutin, rien n’autorise à faire un pronostic. Zemmour peut très bien continuer à progresser, comme Macron en 2017, ou s’effondrer brusquement, comme Chevènement en 2002.

    Au départ, la candidature Zemmour a été soutenue, d’un côté par des républicains d’accord avec Marine Le Pen sur l’immigration, mais qui trouvent trop extrémistes ses positions en matière sociale, et par une farandole de déçus du Rassemblement national qui lui reprochent au contraire d’avoir excessivement voulu se dédiaboliser au risque de « banaliser » son discours, leur grand objectif étant, non pas d’empêcher la réélection de Macron, mais de « dégager définitivement Marine ». Le problème est évidemment qu’il est difficile de séduire durablement des gens qui trouvent cette dernière trop radicale et d’autres qui trouvent qu’elle ne l’est pas assez…

    Je pense par ailleurs que l’on aurait tort d’enterrer trop vite Marine Le Pen. En dépit de l’état lamentable du RN (mais à une présidentielle, on vote pour une personne, pas pour un parti), elle reste la candidate préférée des classes populaires. Zemmour, tout à son désir de « réinventer le RPR », dit vouloir réconcilier les classes populaires et la « bourgeoisie patriote » (ou fusionner la sociologie de la Manif pour tous et celle des Gilets jaunes), mais pour l’instant il ne touche pratiquement pas les premières, qui le connaissent en outre assez peu. Il l’a indirectement reconnu lorsqu’il a déclaré, le 22 octobre, que « Marine Le Pen n’a pour elle que des classes populaires, elle est enfermée dans une sorte de ghetto ouvrier et chômeur, qui sont des gens tout à fait respectables et importants, mais elle ne touche pas les CSP+ et la bourgeoisie ». Zemmour, lui, connaît surtout du succès auprès des anciens électeurs de Fillon et de Bellamy, des CSP+ et des cathos versaillais, c’est-à-dire auprès de cette petite et moyenne bourgeoisie qui craint pour son avenir et son identité parce qu’elle s’inquiète de son insécurité culturelle, mais très peu d’une insécurité économique qui est au contraire l’une des préoccupations majeures d’une « France périphérique » qui, comme l’a dit Marine Le Pen, « n’acceptera pas d’être sacrifiée à une vision ultralibérale de l’économie ».

    Il y a en fait deux façons bien différentes de concevoir la formation d’un nouveau bloc historique à vocation hégémonique : l’« union des droites » et ce que Christophe Guilluy ou Jérôme Sainte-Marie (Bloc contre bloc, 2019, Bloc populaire, 2021) appellent le « bloc populaire ». La première s’appuie sur un clivage droite-gauche qui n’a plus grand sens aujourd’hui, l’autre sur un rapport de classe qui s’affirme au contraire de plus en plus, au fur et à mesure que diminue le pouvoir d’achat et que se généralise la précarité. Ces deux manières de voir ne sont guère conciliables. A un moment où toutes les institutions qui fabriquaient hier du consentement sont entrées en état de crise systémique, il est difficile de prendre en compte les revendications des classes populaires, confrontées à la fois à la misère sociale et une immigration devenue immaîtrisable, et qui savent très bien que la question de l’identité nationale est indissociable de la question sociale, tout en s’employant à donner des gages aux patrons du CAC 40.

    Attendons donc encore six mois. On saura alors si Zemmour est parvenu à autre chose qu’à faire réélire Macron.

    Breizh-info.com : La politique tyrannique (officiellement sanitaire) mise en place par les autorités françaises se poursuit. La population française, dans sa majorité, semble avoir capitulé, tout du moins accepté, d’être réduite à présenter un code barre et une preuve de vaccination pour dîner en ville, aller au cinéma, etc. La soumission généralisée d’une population est-elle de tendance à vous inquiéter ?

    Alain de Benoist : Vous oubliez quand même qu’au cœur même de l’été dernier, à une période de l’année où aucun syndicat n’a jamais osé organiser une manifestation, on a vu des centaines de milliers de Français défiler semaine après semaine pour protester contre le passe sanitaire. Du jamais vu.

    D’un autre côté – je crois que nous en avons déjà parlé – il est clair qu’un grand nombre de gens sont prêts à abandonner leurs libertés quand ils croient leur sécurité ou leur santé menacée. La peur est le moteur premier de la servitude volontaire. Mais ce que vous interprétez en termes de soumission peut aussi s’interpréter en termes de résilience ou de pouvoir d’adaptation, sans que cela empêche la colère de gronder. La soumission généralisée, personnellement, je la verrais plutôt dans l’acceptation par les masses d’un système capitaliste qui est en passe de les déposséder de leur humanité.

    Breizh-info.com : Vous avez publié récemment « Survivre à la désinformation », livre qui compile et reprend vos entretiens donnés à Nicolas Gauthier sur le site « Boulevard Voltaire ». Comment s’informer correctement dans une société ouverte qui produit de l’information à chaque seconde ?

    Alain de Benoist : Il y a évidemment des sources d’information qui sont meilleures que d’autres. Inutile d’en faire l’énumération (Breizh-Info y aurait bien sûr sa place). Mais l’important n’est pas tant de savoir quelle quantité d’informations on absorbe que de savoir en évaluer l’importance. Le drame est que les médias actuels, du fait même de leur structure, interdisent de plus en plus de hiérarchiser les informations, et surtout d’en comprendre le sens et la portée. Montrer que les événements susceptibles d’avoir une véritable portée historique ne sont pas nécessairement (et sont même rarement) ceux dont on parle le plus est précisément l’un des objectifs de ce recueil.

    Breizh-info.com : Finalement, quelle différence peut-on faire entre la personne sous-informée – c’est-à-dire celle qui ne regarde que le JT de 20 h ou ne lit que quelques extraits d’un quotidien régional – et la personne qui a la tête dans l’information toute la journée, à ne plus pouvoir prendre du recul dessus ?

    Alain de Benoist : En fin de compte aucune. La première ne sait pas grand-chose, la seconde a entendu parler de tout mais n’y comprend rien. L’excès d’informations est parfaitement équivalent à l’absence d’informations, du fait d’un phénomène de contre-productivité dont Ivan Illich a donné bien d’autres exemples.

    Breizh-info.com : Pour s’élever un peu et évoquer l’Europe et son avenir, comment analysez-vous les offensives de plus en plus violentes des commissaires de Bruxelles vis-à-vis des pays d’Europe centrale, Pologne et Hongrie en tête ? Pensez-vous que l’Union européenne puisse possiblement exploser, ou se scinder en deux ?

    La Commission de Bruxelles ne supporte pas ce qu’elle présente invariablement comme des « atteintes à l’Etat de droit ». Cela n’a rien d’étonnant, puisqu’elle est l’un des vecteurs d’une idéologie dominante qui voit dans l’Etat de droit un moyen de soumettre le politique à l’autorité des juges et la souveraineté populaire à la morale des « droits de l’homme ». Les pays de l’Est, de leur côté, ont découvert que le « monde libre » qui les avait fait rêver à l’époque communiste est d’autant moins un exemple à suivre qu’il peut aussi constituer une menace. Dans la polémique que vous évoquez, la Pologne et la Hongrie ne sont pas isolées puisque le 7 octobre, pas moins de douze pays-membres (Autriche, Bulgarie, Chypre, Danemark, Estonie, Grèce, Hongrie, Lituanie, Lettonie, Pologne, République tchèque et Slovaquie) ont tenté de faire adopter un texte visant à ce que la Commission finance la construction de murs ou de clôtures de barbelés aux frontières extérieures de l’Union. Cette demande a bien entendu été rejetée, mais elle n’en reste pas moins significative.

    On pourrait certes voir dans le groupe de Visegrád l’amorce d’une « autre Europe ». C’est un espoir raisonnable, mais il ne faut pas se dissimuler que les pays qui en font partie sont loin d’être d’accord sur tout. En matière de politique étrangère, par exemple, la Pologne continue de s’aligner aveuglément sur les États-Unis et professe une russophobie que la Hongrie ne partage pas. Il ne faut pas oublier non plus que la Pologne a beaucoup à perdre dans une épreuve de force avec l’Union européenne, car elle est actuellement la principale bénéficiaire des fonds européens. Plus qu’à une explosion, j’ai tendance à croire à une implosion de l’UE qui aboutirait à une dislocation de fait.

    Breizh-info.com : En France, dans cette hypothèse, nous nous retrouverions alors sans doute dans le camp occidental… c’est-à-dire pas franchement le camp des défenseurs de l’Europe civilisation… Que faire alors demain pour maintenir les ponts fondamentaux ?

    Alain de Benoist : Le risque de se retrouver dans le « camp occidental » me semble surtout considérable dans le bras de fer qui oppose actuellement Washington et Pékin, et qui pourrait très bien aboutir un jour ou l’autre à un conflit armé entre une hyperpuissance américaine déclinante et une puissance montante chinoise qui ne cesse de s’affirmer. Les Etats-Unis manœuvrent déjà pour reconstituer contre la Chine une « coalition occidentale » semblable à celle qui visait à contenir l’Union soviétique à l’époque de la guerre froide. En cas de guerre, la plus grande erreur pour les Européens consisterait à s’aligner sur Washington, au lieu d’adopter pour le moins une attitude de neutralité. L’Europe n’a pas vocation à faire la guerre aux Chinois !

    Alain de Benoist, propos recueillis par Yann Vallerie (Breizh-info, 27 octobre 2021)

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  • Quel avenir pour le bloc populaire ?...

    Les éditions du Cerf viennent de publier un nouvel essai de Jérôme Sainte-Marie intitulé Bloc populaire - Une subversion électorale inachevée. Spécialiste de l'opinion publique, fondateur de la société d'études et de conseil Polling Vox, Jérôme Sainte-Marie enseigne à l'université Paris-Dauphine et est déjà l'auteur de Bloc contre bloc - La dynamique du Macronisme (Cerf, 2019).

     

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    " Après le visionnaire Bloc contre Bloc, le politologue Jérôme Sainte-Marie, spécialiste des sondages, allie à nouveau investigation historique, décryptage idéologique, examen sociologique et analyse statistique pour dévoiler l'inconscient de la France à l'approche de la présidentielle. Renversant. Indispensable. Après Bloc contre Bloc, où il montrait et démontrait l'état de polarisation extrême dans lequel se trouve la France, après avoir dévoilé la genèse et l'envers du bloc élitaire, Jérôme Sainte-Marie revient dans ce livre sur la formation et l'évolution du bloc populaire.
    D'où vient-il ? A quoi correspond son émergence ? Quelles solidités et quelles fragilités comporte-t-il ? Est-il soluble ou insoluble dans ce qu'il est convenu d'appeler le "populisme"? Peut-il surtout l'emporter électoralement et durer politiquement ? C'est à nouveau en alliant l'investigation historique, le décryptage idéologique, l'examen sociologique et l'analyse statistique que Jérôme Sainte-Marie nous fait plonger, à sa suite, dans l'inconscient français pour en explorer les méandres.
    Un essai critique et lucide, passionnant et renversant. par le plus visionnaire de nos politologues. Un livre indispensable à l'approche de l'élection présidentielle. "

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  • La situation politique et les perspectives pour 2022 vues par Alain de Benoist...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la situation politique et les perspectives pour 2022. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

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    Alain de Benoist : « Macron conserverait quelques chances de l’emporter, mais Marine Le Pen aurait de bien meilleures chances de gagner »

    Au cours de ces dernières semaines, nous avons assisté au second tour des élections municipales, puis à la mise en place d’un nouveau gouvernement. Peut-on dire qu’il en résulte un nouveau paysage politique ? Les forces en présence se sont-elles modifiées ?

    Sur les élections municipales, on a déjà tout dit. Les deux faits marquants sont l’abstention record (60 %), qui s’explique avant tout par le fait que la France périphérique n’a pas voté, et la poussée de ce qu’on a appelé la « vague verte », qui a permis à des représentants de EELV de s’emparer d’un certain nombre de grandes villes. Cette « vague » ne doit être ni surestimée ni sous-estimée. Sa cause fondamentale, au-delà de la vague sympathie que suscite le référent écolo dans tous les milieux, est la gentrification croissante des grandes villes. La droite a, bien entendu, réagi en recourant à des métaphores ringardes comme celle de la pastèque (verte à l’extérieur, rouge à l’intérieur) et en s’affolant de l’arrivée des « Khmers verts » dans les mairies. Elle est, il est vrai, totalement analphabète en matière d’écologie. Désolé, Yannick Jadot n’est pas Pol Pot ! Les Verts sont des libéraux-libertaires, grands défenseurs des migrants, qui sont beaucoup plus intéressés par la théorie du genre que par une écologie qu’ils ne conçoivent que d’une façon punitive et superficielle. De même que l’ a discrédité l’Europe, les Verts discréditent l’écologie. Ce sont les vrais partisans de l’écologie qui devraient le plus dénoncer leur imposture.

    Il n’y a pas, non plus, grand-chose à dire sur le nouveau gouvernement, qui confirme seulement la volonté d’ de débaucher de plus en plus le centre droit afin de laminer les Républicains. Macron a compris qu’il n’a plus grand-chose à grappiller à gauche. La nomination de Dupond-Moretti, le King Kong des prétoires, a suscité une levée de boucliers chez les magistrats. Celle de , préféré à Blanquer au ministère de l’Intérieur, a provoqué l’hystérie des néo-féministes (« un violeur place Beauvau ! »). L’arrivée de la Castafiore à la Culture n’a satisfait que les amateurs d’opéra. L’entrée de à Matignon a d’abord paru consacrer un Mr. Nobody qui allait permettre au chef de l’État de gouverner de façon plus « jupitérienne » et solitaire que jamais. Son image d’« énarque rural » ne doit toutefois pas faire illusion. Apparaître comme débonnaire n’empêche pas d’avoir de la poigne. Castex a d’ailleurs déjà eu la peau de Marc Guillaume, secrétaire général du gouvernement.

    À la faveur de l’épidémie de Covid-19, Emmanuel Macron semble en être revenu à certains fondamentaux plus « régaliens ». Simple tactique ou changement plus en profondeur ?

    On ne juge pas les politiciens sur ce qu’ils disent, mais sur ce qu’ils font. Il est fort possible qu’au moment du confinement, Macron ait commencé à réaliser que la dépendance de la France lui est préjudiciable, mais je pense qu’il est incapable de résister à son tropisme d’origine. C’est un libéral autoritaire, un manipulateur narcissique, pour qui la politique se résume à une affaire de dossiers. Je suis convaincu que, loin de se « remettre en question », il cherche seulement un « autre chemin » de parvenir au même but : réformer la France pour l’adapter aux exigences de la mondialisation, c’est-à-dire des marchés financiers. Ce sera seulement beaucoup plus difficile qu’avant, car dans une Europe en récession, la France se retrouve dans une position pire que presque tous ses voisins.

    Quelles leçons en tirer dans la perspective de l’élection présidentielle de  ?

    Le fait principal est le suivant : en 2022, les Français vont subir de plein fouet des conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire qui vont s’avérer cataclysmiques. On n’en a pas encore pris la pleine mesure parce que les pouvoirs publics distribuent des milliards d’aides et de subventions afin de retarder les échéances, ce qui va rendre la dette publique intenable. En fait, la précarité va se généraliser, le pouvoir d’achat va s’effondrer, les faillites et les dépôts de bilans vont se multiplier (et pas seulement dans les secteurs sinistrés), le nombre des chômeurs va bondir, le tout sur fond de montée des radicalisations et d’ensauvagement de la société.

    , comme le dit le politologue Jérôme Sainte-Marie, le choix des électeurs n’a jamais été autant corrélé à leur condition sociale qu’aujourd’hui : « Plus on dispose d’un revenu élevé, plus on adhère au macronisme. » Dans ce contexte de lutte des classes, qui va de pair avec l’ébranlement du clivage droite-gauche (qui en est à la fois la cause et la conséquence), de nouvelles couches des classes moyennes en voie de déclassement, des indépendants, des cadres moyens appauvris ou ruinés vont venir massivement grossir les rangs du bloc populaire.

    Paradoxalement, et Macron ont, aujourd’hui, le même objectif : se retrouver tous les deux face à face au second tour de la présidentielle, comme ce fut le cas en 2017. La différence étant que la première n’aura pas, cette fois, à affronter un « homme nouveau », bénéficiant d’un préjugé a priori favorable, mais un personnage discrédité, au bilan lamentable et qui, durant son quinquennat, n’aura cessé de décevoir des couches de plus en plus larges de la population. Mélenchon, de son côté, ne sera pas un concurrent pour elle, puisqu’il a tourné le dos au populisme pour céder aux sirènes de l’islamo-gauchisme, ce qui l’a disqualifié auprès des catégories populaires. Macron, de son côté, redoute plus que tout de ne pas être au second tour, ce qui explique sa stratégie actuelle visant à faire disparaître tout ce qui existe entre le RN et LREM, à commencer par les Républicains.

    Dans le cas d’un nouveau duel Macron-Le Pen, Macron conserverait quelques chances de l’emporter, mais Marine Le Pen aurait de bien meilleures chances de gagner, car elle devrait pouvoir bénéficier d’une vague populaire beaucoup plus forte qu’il y a deux ans. Si, en revanche, elle avait devant elle un ou plutôt une candidate représentant un conglomérat de Verts associés aux derniers débris d’une gauche en déroute, qui ferait au second tour le plein contre elle, sa tâche serait beaucoup plus difficile. La prochaine « cheffe » de l’État pourrait alors bien s’appeler Anne Hidalgo.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 2 août 2020)

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